Auteur: Anne Drucker / VOIR LA LUMIERE

[MichèleM]

Ma voisine m'apprit la nouvelle avec désinvolture. Nous jasions, selon notre habitude, appuyée à la clôture qui sépare nos deux cours. Elle jeta un regard au viel arbre majestueux et imposant situé sur son terrain. "Tu sais, Joe s'occupe actuellement de le faire abattre" me dit-elle.

L'arbre? Mon esprit s'emballa. L'arbre que j'avais observé par la fenêtre, penchée au dessus de l'évier de la cuisine, durant toutes ces années? Celui qui fournit une ombre bienfaisante durant la canicule?

"Oh", voilà tout ce que je pus trouver à dire.

Mon expression a dû révéler mon état d'esprit.

"Je sais", dit-elle compréhensive. " Nous n'avons pas du tout envie de le faire. Mais après le dernier ouragan..."

J'acquiesçai d'un signe de tête, me rappelant cet épisode effrayant. Une énorme branche était tombée avec un bruit sourd qui ébranla le sol. Nos deux maisons furent miraculeusement épargnées.

En faisant la vaisselle ce soir-là, j'observais avec tristesse deux écureuils exécutant un ballet aérien haut dans les branches. Ils vont s'ennuyer de leur arbre, pensai-je.

Quelques jours plus tard, un camion s'arrêta devant la maison de mes voisins. Des jeunes hommes musclés armés de cordes et de scies mécaniques prirent l'arbre d'assaut.

Au début, je regardais la scène avec une fascination horrifiée tandis que les branches une à une étaient sciées et descendues sur le sol. C'est seulement un arbre, essayai-je de me raisonner, en me détournant le coeur lourd.

Quand je regardai de nouveau, tout ce qui restait était une horrible souche. Quelques jours plus tard, ils revinrent pour la raser, faisant disparaître toute trace de ce qui avait été un arbre magnifique.

Je fis pars à une amie plus âgée du sentiment de perte qui m'habitait. "La cour semble tellement vide maintenant", dis-je désolée.

- Tu t'y habitueras", dit-elle. en essayant de me consoler. " Il ne s'agit pas de repenser à ce que tu as perdu, mais à tout ce qui reste".

- Je sais, dis-je, comme on le fait quand on n'est pas convaincu mais qu'on essaie d'être poli.

Je retournai à mes activités habituelles. Puis, je commençai à remarquer certains changements. Ma cuisine, qui n'avait jamais été très éclairée, brillait comme jamais, inondée de rayons de soleil. Je découvris que je n'avais plus besoin d'allumer la lumière au dessus de l'évier.

Il n'y avait plus d'obstacle pour m'empêcher de voir par la fenêtre jusqu'au pâté de maison suivant. Je pouvais voir les enfants revenir de l'école, rire et crier; je voyais le facteur arriver.

Le printemps suivant, je ferais un nouveau jardin. Je me sentais presque coupable en pensant aux magnifiques tomates que je pourrais faire pousser avec tout ce soleil de plus.

Soudain, les paroles de sagesse de mon amie me revinrent en mémoire. Je devais l'appeler et lui faire savoir que je comprenais maintenant ses paroles: quelque chose qui dépasse la perte d'un arbre. J'avais, en fait, tellement de choses à apprécier.



Auteur: Anne Drucker